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13 novembre 2024 @ Le coeur qui bat…



Hier soir, j’ai été voir « Le cœur qui bat » de Vincent Delerm. Et j’ai adoré. Il a voulu faire des séances spéciales, où il serait présent à chaque fois, pour partager avec le public et expliquer, comprendre, partager encore de nouvelles histoires autour du sentiment amoureux.

 

Son film est une merveille. Une vraie merveille de poésie. Des interviews récentes en noir et blanc. Des films d’autrefois en couleurs sépias. Une Mathilde casse-cou, héroïne des cours de récrés, des vieux tellement attendrissants qui parlent de leur douce dont ils ont tant pris soin, un jeune échaudé par une première histoire sur laquelle il est resté sidéré d’avoir tellement aimé… un ami disparu avec qui on a échangé des heures de discussion sur la femme idéale, des parents qui se tiennent la main, une ado qui raconte avec tellement d’émotion le premier baiser échangé de ses parents, à une date imprécise, parce qu’il a commencé avant minuit un jour et finit après minuit le lendemain… une danse en apesanteur, des mains qui se touchent, des bras qui se serrent, quelques larmes, des ventres ronds, deux mariages… tous les visages, tous les regards, toutes les sensations du sentiment amoureux. Le tout rythmé par des éoliennes dominicaines, un piano voyage et des mots touchants. La neige. Magie, féérie. Un titre rose. Et des cœurs qui battent. Merveille.

 

Alors, moi aussi, j’ai envie de revenir sur tous les cœurs qui ont fait battre le mien.

 

Le premier dont je me souviens, c’est Jean-Philippe. J’avais dix ans. Lui 14. C’était « un grand ». Il était Belge. On était en vacances en Espagne avec mes cousins chéris avec qui je passais tous mes étés, d’habitude, au Pays basque. Là, on était à Peniscola. Mes cousins plus ma sœur, mon frère et moi et les amis Belges qu’on avait rencontrés au bord de la piscine. Les parents s’étaient liés et les enfants aussi. On passait notre temps à sauter dans l’eau, on s’éclaboussait, on se cherchait. Et moi je ne regardais que lui. Il avait les yeux bleus, les cheveux blonds, et surtout une grande douceur. Il m’avait appris à plonger et j’étais hyper fière, parce que je faisais de la danse classique depuis 5 ans déjà et je suis sûre que mes pieds étaient bien en pointe et que le plongeon était absolument parfait. Je me souviens qu’il avait pris le temps de bien m’expliquer. Et j’avais adoré. On se baladait, on jouait aux cartes. On n’a rien fait de spécial. On ne s’est même pas pris la main. On ne s’est même pas embrassé. Mais c’était bien. Pendant longtemps après, on s’est écrit des lettres. Je les ai toujours. J’ai même encore une photo de lui, il faisait des cascades avec sa moto. Il sautait par-dessus des feux. Je trouvais ça débile, en plus sur les photos, on n'en voyait rien. Je me souviens qu’il avait repassé au feutre noir les roues de sa moto… mais on ne voyait pas tellement plus. Je crois que je connais encore son adresse par cœur. « Bergezipestraat 1, 3000 quelque chose Kampenhout » un truc comme ça. C’est dingue quand même ! Mais on s’est beaucoup écrit (la preuve je me souviens de l’adresse !). On s’est revus, parce que nos parents étaient devenus amis. Alors on a été chez eux, en Belgique. On voulait être tout le temps ensemble. On ne s’est toujours pas pris la main, on ne s’est toujours pas embrassé, mais nos regards ne trompaient pas. Et quand on était à côté à table, nos genoux se touchaient, et cela suffisait à mon bonheur. Un jour, pourtant, on est revenu en Belgique, je l'ai trouvé distant, la magie avait disparu. Et son père m’a fait comprendre qu’il avait une petite amie. J’ai pleuré toutes les larmes de mon corps.

 

Et puis il y a eu une grande période a-ha. J’étais fan de ce groupe norvégien. Vraiment fan. Et totalement in love du chanteur. Au point de pleurer quand il s’est marié avec Camilla. Me faire ça à moi ?! « Quelle grossière erreur, tomber amoureuse du chanteur »… Quand j’y pense… c’est vraiment naze. Mais le beau de l’histoire, c’est que je m’étais promis de les rencontrer. Donc, de devenir chanteuse ou journaliste. C’est quand même ma première vocation de journaliste qui naît là. Entre un concert au Zénith et un autre aux arènes de Fréjus. D’ailleurs, j’avais écrit au journal qui les avait critiqués, pour les défendre et ma lettre était parue ! Premier article signé dans un journal ! The classe ! A-ha donc. Des posters dans ma chambre, musique à fond et chansons à tue-tête. Je ne parlais que de ça, je faisais de la danse classique, j’adorais les spectacles de fin d’année, être sur scène, je chantais dans une chorale, j’étais en classe musicale et la vie était belle ! J’étais dans mon monde, je m’étais acheté le guide bleu de la Norvège et je rêvais d’y aller. Je rencontrerai Morten, on se marierait et on aurait la belle vie ! Bah oui tiens ! C’est nul, hein ? Mais, mais, je les ai vraiment interviewés, des années plus tard : une heure en tête à tête avec chacun d’entre eux à l’hôtel Costes, en 1998, Morten en dernier. Je serai bien parti avec lui comme c’était programmé depuis le collège, mais malheureusement, je venais de rencontrer mon futur mari. Les destins se jouent à peu de chose quand même…

 

Au lycée, j’étais raide dingue de Guillaume Roujeau. J’étais en première, il était en terminale. Je l’avais croisé dans le couloir et ses yeux bleus et ses bouclettes m’avaient fait total craquer. J’avais piqué l’emploi du temps des TC4 dans le bureau des pions et je me postais aux intersections des salles où il allait passer, juste pour le regarder. Ma grande copine Claire me soutenait et m’encourageait à aller lui parler. Mais je n’ai jamais pu. Nos regards se croisaient… pourtant il se passait quelque chose. Enfin, j’en avais l’impression. Vous croyez que je me faisais des films ? Je lui avais même acheté à la foire des livres de début d’année, tous ses bouquins (c’était d’ailleurs le surnom qu’on lui avait attribué avec Claire, on donnait des surnoms mystérieux à tout le monde pour ne pas se faire repérer quand on parlait d’eux…). Mais Guillaume Roujeau a préféré une fille de sa classe. Adieu Guillaume Roujeau ! Je ne me consolerai même pas avec Olivier Conte, le rugbyman trop sexy de ma classe, 1,95 m, chevaux de jais, jambes interminables, yeux verts, qui ne m’a jamais remarqué (il faut dire que j’étais planquée derrière ses larges épaules en maths et en physique). Ah, ce qu’on devait être bien dans ses bras ! C’était son pote Olivier qui était amoureux de moi, mais moi je ne le voyais que comme un super copain. Il a sans doute (c’est ça, hein ?), ne pas voulu trahir son copain. C’est sûr Isabelle, c’est sûr…

 

Le premier garçon que j’ai embrassé, c’était un été, après le Bac, au Pays basque. J’avais 18 ans. Oui, je sais c’est tard, mais avant je rêvais et ça me suffisait. Ça remplissait ma vie. En plus des copines, du chant, de la danse et du piano. Je ne me souviens même plus de son prénom. Ce dont je me souviens, c’est que ça m’a un peu dégouté. Il bavait en fait en me roulant des pelles. Beurk. Ça n’a pas duré longtemps cette histoire. Mais je me souviens que ma copine Claire était fière de moi. J’avais enfin embrassé un garçon. Elle était plus experte que moi en ce domaine. On avait d’ailleurs écrit un « bouquin » à 4 mains « 1 001 recettes pour échouer en amour ». Je l’ai toujours. Je me marre, là, en le relisant. Rien que la préface vaut le détour : « Nous lisons sans cesse des histoires où les princesses sont belles, où elles trouvent un prince charmant du premier coup et où, comble de chance… ils sont heureux et font beaucoup d’enfants. Il y a de quoi être complexées, surtout si en plus, on n’a pas un physique très facile, que les hommes nous fuient, qu’on est malheureuse et de surcroît stérile… bref, c’est pour que chacune de nous se reconnaisse à un moment ou un à autre dans ce livre qu’Isabelle et moi-même avons décidé d’entreprendre cet ouvrage, pas totalement dénoué de philosophie comme on pourrait l’imaginer. Certains passages sont tirés de notre propre vie, mais la plupart sont le pur fruit de notre imagination, qui se plaît à vagabonder dans les abîmes de la bêtise humaine. Je dédie ce livre à tous les boudins, les cageots, les laiderons, et plus particulièrement à celles qui recherchent sans jamais le trouver leur prince charmant. Je ne prétends pas que vous serez mariée lorsque la lecture de cet ouvrage touchera à sa fin, mais il vous aura au moins fait rire… c’est déjà cela de gagné ! » Et les chapitres s’enchaînaient, tels que « Comment se faire draguer par un mec moche ? », « Comment faire fuir les beaux ? » « Comment rechercher l’inaccessible ? » (spéciale dédicace moi) et le dernier chapitre était : « Ou les avantages du célibat ». Chacune avait écrit sa version. Je n’ai aujourd'hui que celle de Claire. Elle avait la mienne. Son prologue était divin : « Après avoir lu cet ouvrage culturel, n’en retenez pas un mot, faites ce qu’il vous plaît, avec ou sans homme et prenez la vie du bon côté. » On était vachement brillantes. Des expertes ! Et surtout, qu’est-ce qu’on a ri !

 

Et puis Claire est morte. Fauchée par un chauffard bourré. Notre amitié avait été tellement fusionnelle. Seconde, première, on était tout le temps ensemble. Tout le temps. On explorait les couloirs secrets du lycée. Elle me faisait découvrir un monde qui m’était inconnu : les BD de Gotlib et sa coccinelle au caractère de chien, les Beatles, Coluche, la photo… on passait notre vie à s’accompagner, se raccompagner, on parlait des heures, je dormais chez elle, elle venait goûter chez moi, elle me faisait essayer des bas Dim up qui se cassaient la figure quand on courait après le bus, on se déguisait, on écrivait, des poèmes, des textes rigolos, des lettres, des tonnes de lettres avec des enveloppes que l’on fabriquait nous-mêmes, on s'écrivait chaque jour en vacances, je guettais quotidiennement la mobylette du facteur, on organisait des soirées où on avait remplacé les tartinades des petits fours par du pâté pour chat et on se marrait à regarder les gens se délecter… elle avait de l’argent de poche, pas moi. Je la trouvais dix fois plus cultivée que moi, elle avait perdu sa maman dans des circonstances atroces, je voulais la protéger. C’était tellement fort ! De ces amitiés adolescentes qui marque au fer rouge. Terminale, je suis en section littéraire, elle est en scientifique. On est séparées alors qu’on ne se quittait jamais d’un millimètre. On rentrait chez nous le soir, on se téléphonait. À l’époque, on devait tirer le fil gris entortillé dans la chambre que je partageais avec ma sœur. « Mais qu’est-ce que vous pouvez avoir encore à vous raconter ? Vous venez de vous quitter ! » Le téléphone, ça coûtait cher à l’époque. On payait au temps passé. Ah ! Si on avait eu l’illimité ! Je pense que l’on n’aurait pas beaucoup dormi ! Elle me manque. On avait les mêmes rêves. Les mêmes envies de journalisme. Elle était beaucoup plus douée que moi à l’école. Elle était en prépa HEC et moi en Hypokhâgne. On se voyait moins, on avait beaucoup de boulot, mais c’était aussi comme si on ne pouvait pas vivre une moitié d’amitié. On ne pouvait qu’être fusionnelles. Être tout le temps collées. Et ce taré l’a fauchée. Je me souviendrai toujours de ma mère qui rentre dans ma chambre pour me l’annoncer. Je me revois prendre le petit piano en bois qu’elle m’avait offert, avec écrit : "Rêve petite Isabelle, tu sais qu'on ne vit qu'une fois. Profites-en la vie est belle, mais surtout ne m'oublie pas." Le serrer fort dans mes bras. Et pleurer toutes les larmes de mon cœur et de mon corps. À son enterrement, on a chanté « Petite Marie » de Francis Cabrel. Je n'ai jamais pu écouter cette chanson depuis. Je n’ai jamais pu supporter des gens bourrés depuis. Depuis qu’elle est partie, j’ai toujours vécu pour deux. J’ai souvent l’impression qu’elle est là et qu’elle me guide. J’aurais bien aimé qu’elle connaisse mes enfants. J’aurais bien aimé qu’elle soit là aujourd’hui. On mangerait des crêpes au Nutella ou des princes de Lu avec un verre de lait. Et on rigolerait de mes amours rêvées et pas vraiment vécues.

 

Et puis il y a eu Patrick. Super beau, genre mannequin, yeux bleus foncés, très grand, mais super jaloux. Je ne pouvais pas approcher un autre mec sans qu’il me fasse une scène. On est resté ensemble assez longtemps. De ma prépa à mon DESS de journalisme. Mes parents ont déménagé en Bretagne parce que mon père, au chômage depuis trop longtemps, avait retrouvé un boulot là-bas. Je me suis installée chez Patrick, car je n’avais pas fini mes études. J’étais en 4ème année d’histoire à Nanterre. C’était peut-être un peu précipité, mais sinon, j’étais obligée d’aller en Bretagne… On s’est séparé quand j’étais en DESS. Je suis tombée amoureuse d’un homme avec des yeux verts profonds, qui me fascinait par sa liberté. Je me trouvais naïve et immature. Je lui mettais des accents sur les mots de ses articles, il faisait mes montages de radio. Mais c’était compliqué. Mais j’étais très amoureuse. Au moins, grâce à lui, j’ai quitté ce Patrick très étouffant, dont la mère contrôlait tout et régissait la vie. On avait déjà parlé de fiançailles et même de mariage. Elle ne voulait pas qu’on dorme ensemble avant de passer devant le maire. Mon amoureux aux yeux verts, qui n'était pas vraiment disponible, m’a épargné ça. Éternelle reconnaissance.

 

Une interview. Un coup de foudre. Un bouquet de fleurs énorme livré à la rédac à la parution de l’article, rendant toutes les autres journalistes vertes. Un amour extraordinaire. Il me chantait des chansons sur le quai du métro en face. Me faisait danser dans la rue. Il m’emmenait en week-end surprise, je ne savais pas où j’allais jusqu’à monter dans l’avion, les yeux bandés. « Rendez-vous en terre inconnue » avant l’heure ! Je l’entendais dire aux hôtesses « c’est notre voyage de noces ». On était surclassés. Et hop direction Barcelone ! On riait tout le temps aux éclats, il rendait la vie comédie musicale et c’était trop la classe ! C’est le seul homme que j’ai emmené dans ma maison de famille au Pays basque. Il se trouvait malingre. Je le trouvais trop beau. On était bien au-delà de ça. Son accent me séduisait tellement et avait un goût de tout ce qui me faisait vibrer. Et son rire… Je planais. Des mois de bonheur total. Et puis, rupture brutale. Peur de s’engager. Moi je voulais passer ma vie avec lui. J’ai pleuré des jours entiers, des semaines entières. J’ai essayé de le rattraper. Maladroitement. On est toujours maladroit quand on est rejeté. J’étais à ramasser à la petite cuillère. « Ah ! Isabelle et ses amours ! »

 

Et puis il y a eu mon mari. 25 ans. Premier baiser sous l’Arc de Triomphe. Ça commençait bien. Il y a eu de très beaux projets, et surtout trois enfants. Je n’ai pas envie de partager la fin. Elle est bien trop moche. Mais ça a été beau longtemps et c’est bien le principal.

 

Retrouver confiance. Recroiser des visages et des corps du passé… pour se reconstruire un présent. Vivre une passion folle option cinoche mais fin frelatée, avec un sms de la compagne pas vraiment prévue au générique. Bien moche encore, mais aucun regret. Plutôt vivre, que ne rien vivre. Rêver encore sur des visages, un regard (souvent vert), une voix, rêver, imaginer, rêver encore… se faire des films. Et pourquoi pas ?

 

Avoir le cœur qui bat de nouveau en ouvrant un sms. Se sentir vivante. Tellement vivante. Prête à tout espérer. Prête à aimer. Vivement demain !



1 commentaire

1件のコメント


narimanelanglois
2024年11月14日

Merci pour ce très joli texte ! J'ai ressenti les papillons dans le ventre, les tiens...et forcément les miens. J'ai replongé en arrière, aimé ça, mais aussi adoré revenir aujourd'hui et se dire effectivement que la vie est belle. C'est bon de se le rappeler. Merci !

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