
J'ai retrouvé mes élèves. Mes chers élèves. Je dis mes élèves mais my dear directeur dit qu'il faut dire "apprenants". C'est vrai, quand même, on est après le bac. Ils sont étudiants. Mais moi j'aime bien dire "mes élèves". Les jours avec eux ont une saveur particulière. Je me prépare comme à un rendez-vous amoureux : du contenu of course, un trait de vert au-dessus de mes yeux pour faire ressortir le vert bronze qu'ils contiennent, mon parfum qui sent la violette, des boucles d'oreille et une jolie tenue. Pour le premier cours, j'aime bien m'en acheter une nouvelle d'ailleurs. Comme pour mes enfants quand ils étaient petits. Je leur offrais toujours un nouveau polo. On allait faire les boutiques pour "le polo de rentrée". C'était devenu une tradition. J'aime bien les polos pour les garçons. Pas trop habillé comme avec une chemise, ni trop cool avec un t-shirt. Un habit neuf pour être tout neuf pour la rentrée. Pour être prêt à apprendre plein de choses, pour être prêt pour de nouvelles découvertes. Je sais, j'ai toujours aimé la rentrée, les odeurs de cahier neuf (clin d'oeil à Thierry Chazelles), mon nouveau cartable où allaient se déposer tous mes trésors cachés (cailloux ou autres petits mots), les nouveaux copains, mes billes pour la récré et mes livres. Petite fille plutôt joyeuse et rigolote, j'ai longtemps été (toujours en fait) bonne élève, syndrome dont j'ai encore bien du mal à me départir… je suis appliquée, je déteste le travail mal fait, les personnes qui ne sont pas à fond sur un projet pour qu'il sorte le mieux possible… mais bon, vouloir bien faire, est-ce vraiment utile de s'en délester ? Pas sûre en fait.
Bonne élève, mais pas brillante non plus (ça c'est pour plus tard ! ;-))- un peu timide aussi, j'étais terrorisée à l'idée de lever le doigt pour aller au tableau… la trouille de donner la mauvaise réponse, peur d'être mal jugée… mais aussi peur du regard du prof. J'ai toujours été un peu traumatisée par l'autorité. Je n'aime pas le pouvoir que certains exercent sur les autres de part leur seule fonction ou leur sexe (masculin hein bien sûr). J'exècre cela en fait. C'est même viscéral. Dès qu'il y a un rapport de force, je me sens très mal. D'ailleurs, je me souviens d'un fabuleux professeur de 6ème, monsieur Rémi Gaboret, qui nous faisait rédiger des lettres à des écrivains, imaginer des dialogues entre des peluches qu'il avait amenées, écrire un spectacle avec des marionnettes, faire des tests de personnalité pour mieux nous connaître… c'était notre professeur Keating à nous. Un jour, il nous avait demandé quel était l'animal qui nous faisait le plus peur, le plus dangereux selon nous. J'avais répondu le requin blanc, traumatisée par les "Dents de la mer"… Et son analyse avait été la suivante : "intéressant. C'est une forme de domination qui vous rebute. Une espèce de chose qui représente un pouvoir très animal, très masculin en somme. Une surpuissance absolue sans ennemi." Et c'est vrai que quand j'y pense, ma trachée se resserre, j'en ai mal au coeur, j'étouffe… Désolée, requin blanc, même François Sarano, océanographe admiré, aurait du mal à me convaincre… je ne plongerai pas à ta rencontre… je n'arrive même pas à te regarder en vidéo. Mais bon, ça va, je ne risque pas de te croiser en ville… quoique…
Alors, pour cette rentrée, je me suis acheté une jolie robe. Depuis que les traitements m'ont fait prendre des kilos qui m'énervent mais ne m'empêcheront pas de voler, j'aime bien me mettre en robe. Celle-là est une de mes deux marques préférées, toute de pois vêtue, décolleté généreux, hyper classe, mais je mets des baskets pour la rendre plus cool, je relève mes manches comme me l'a conseillé ma soeur experte en mode (parce que moi pas du tout mais pas du tout !) et surtout pour pouvoir marcher jusqu'à l'école. Car vous savez bien que j'aime marcher tout en écoutant les chansons que j'aime, en chantant à tue-tête devant des passants amusés. J'ai d'ailleurs croisé une copine et on a fini ensemble tout en dansant dans la rue le refrain de "Flowers", signature de mon été : "I can buy myself flowers, write my name in the sand…" refrain féministe ô combien… oui si je veux je m'achète des fleurs, pas besoin de toi ! Je peux même être heureuse ALONE, tiens, oui carrément heureuse… et toc !
Heureuse sourire aux lèves inspiré grâce à mes élèves… les nouveaux fraîchement débarqués du lycée, qui ont de l'énergie à revendre. Ce sont des petites promos cette année. Quel régal ! Je vais pouvoir encore plus les chouchouter. Les prénoms, je vais réviser, j'espère bien les maîtriser ! Bon je me suis un peu plantée le deuxième jour en appelant un élève Lucas et pas qu'une fois… mais promis je vais y arriver ! Pour ce premier cours "Atelier Feel Good", bulle de bien-être que j'ai créé avec la complicité de mon directeur, les confidences vont bon train. Au bout de quelques minutes, je sens que je les fais rire et que déjà, la complicité s'installe. Je me régale. Vraiment. Quand je rentre dans la salle de classe, j'ai l'impression d'être une comédienne s'avançant sur cène. Mais c'est exactement cela en fait : on monte sur scène et on doit tenir un auditoire (sacrément exigeant en plus !), le convaincre, le séduire, le faire progresser, lui faire émerger des idées, prendre conscience de ses atouts… sauf que je n'ai plus le trac (vous croyez que j'ai du talent quand même ?).
Quand je pense que certains disent que cette génération est naze… tout le temps collée sur son portable (et nous ?), inculte (et nous ?)… mais quand on commence à dire que la génération suivante n'est pas à la hauteur, ne serait-ce pas les criticards qui sont devenus vieux cons ? Moi je la trouve géniale cette génération… je les adore ! Ils n'ont pas de barrière, voyagent beaucoup, ils ont des défis énormes à relever mais ont quand même le sourire, certains vivent des drames et des horreurs, mais ils sont en bande pour pouvoir y faire face… Ils m'ont invitée à leur soirée d'intégration ! Quand je suis invitée, moi je dis oui ! C'était vraiment un joli moment. On a beaucoup discuté. Quel bonheur en tout cas de passer du temps auprès d'eux, mais quel bonheur ! Après une journée complète, je suis crevée mais gonflée d'une énergie débordante, lessivée, parce que j'ai beaucoup donné (je n'ai jamais su faire les choses à moitié, d'ailleurs pourquoi faire ainsi franchement ?) et là, je me sens investie d'une mission, celle de la transmission. Sans doute une des plus belles.
Parce que transmettre ses passions, c'est partager. Transmettre ce que l'on a appris, c'est vouloir que les jeunes générations apprennent de nos succès, de nos échecs, pour qu'ils puissent être meilleurs que nous. Partager : de là viennent toutes les saveurs et les richesses de toutes les secondes de la vie. Partager, c'est faire entrer l'autre dans son univers. J'ai longtemps répété à mes enfants "le bonheur est dans le partage". Oui, le bonheur est infiniment dans le partage.
@photo Delphine Leplatois
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