J'aime les moments solennels. J'aime "marquer le coup". Poser les mots. Écrire des discours. Pour un anniversaire. Pour leurs 18, leurs 20 ans. Pour sceller une rencontre. Pour dire ce que je ressens avant un moment important. Dire à haute voix, devant une assemblée ou en toute intimité les yeux dans les yeux, combien une personne compte, combien un moment qui va arriver va être une étape importante.
Au début, moi l'ancienne timide (je fais vraiment marrer mes élèves quand je leur raconte que j'avais du mal à lever le doigt en classe… et que j'étais tétanisée à l'idée d'aller au tableau…). Je me cachais derrière Olivier Conte, le rugbyman d'1,92 m de ma classe de seconde pour ne pas que la prof de physique m'interroge. De toutes façons, je ne captais que dalle. Alors autant rêver planquée derrière ses (très) larges épaules…
Je ne sais pas trop bien quand cette timidité m'a quittée. Peut-être lors de ce stage au Figaro. C'était le graal pour moi ce stage. Vous imaginez ? Un stage dans une des rédactions de presse les plus prestigieuses. C'était à la fin de mon DESS (pour les djeun's c'est Bac+5). Un stage non rémunéré comme il se doit. Et bien, il s'est transformé en cauchemar. Un vrai cauchemar. On ne nous donnait rien à faire. À part les brèves de l'AFP à rédiger en fin d'après-midi. Je m'amusais à essayer de les réécrire, à mettre des synonymes, à recomposer les phrases… histoire d'au moins faire un exercice de français ! Et indéniablement, les chefs reprenaient exactement les premières lignes écrites par l'AFP. Mot pour mot. Le message que je ressentais c'était : "tu ne sers pas à grand chose"… Sympa.
Alors, tous les jours je proposais des sujets au chef de service. Mais je me prenais un mur à chaque fois. À chaque fois. Ses yeux bleus me terrorisait. Tous les jours, je pleurais dans les toilettes. Tous les jours. C'était horrible cet affreux goût amer de déception pour le métier dont j'avais toujours rêvé. Comment allais-je me faire une place ? Et dans les conférences de rédaction… imaginez la tablée impressionnante de tous ces messieurs grandes signatures de la presse française… impossible de proposer un sujet. J'étais tétanisée. Alors, un jour, j'ai pris mon carnet et mon crayon sous le bras et j'ai été explorer les autres services. Le service Paris, le service féminin où j'ai goûté à l'ambiance crêpage de chignon et jalousie des mille et un cadeaux démentiels reçus… et j'ai trouvé le service sport. Là, au moins il y avait des mecs cool. Vraiment cool. Je leur ai raconté ce que je vivais. Et ils m'ont confié un article à écrire ! Oui !!!!! Un article sur "Les crampons de foot". Mazette ! Mais j'ai une thèse en main sur les crampons de foot moi ! Ça tombe super bien ! Et bien, en quelques heures, je suis devenue spécialiste des moulés, vissés, caoutchoutés… Et mon article est paru ! Vous imaginez la fierté ? Mes initiales en bas d'un article dans le Figaro ! Du coup, l'autre m'a confié des sujets finalement. Un article sur les nouveaux vélos des facteurs entre autres. J'ai finalement réussi à en placer quatre en un mois. Pas trop mal. Mais l'autre m'a aussi harcelée. Je l'ai déjà raconté ici. Je vous mets juste la conclusion. C'est peut-être là que la lionne s'est réveillée. Parce que ma copine était aussi en danger. Quand il m'a demandé si je voulais venir rédiger mon article dans son bureau… et que je lui ai sorti droit dans les yeux "vous voulez que je vienne sur vos genoux aussi" ? La timidité de la jeune diplômée s'est terrée quelque part, dans les tiroirs d'un bureau du service infos génés du Figaro…
Elle s'est aussi sans doute effacée quand j'ai eu mes enfants. Là, il fallait bien monter au créneau pour les défendre. Ça je sais faire. Je me rappelle de ce rendez-vous avec le prof de CM1 de Martin. Lui qui aimait tellement l'école avait perdu le goût des cahiers et de la rentrée. Son instit (enfin un mec je m'étais dit pourtant !) était hyper sévère avec lui parce qu'il avait 14/20 et qu'il pensait qu'il pouvait avoir 18… je trouvais ça un peu hard pour un enfant… enfin quand même on s'en foutait un peu, non ? 14 c'était déjà bien, non ? Il n'était pas en prépa, on pouvait peut-être se calmer… Il était chouette cet instit pourtant. Et bien j'ai réussi à lui dire tout ce que je pensais. J'en avais discuté avant avec son instit de CE2 que j'aimais beaucoup et qui m'avait dit "oui, je sais, moi je suis considérée comme une bisounours"… "oui et bien moi j'aime bien les bisounours, les arc-en-ciel tout ça… on obtient les mêmes résultats avec douceur, empathie et rigolades en prime !" Bon, résultat, il avait continué de bousculer mon fiiiiiiiiils aîné, mon premier, la chair de ma chair, qui avait… fini par l'aimer… et avoir 18. Je crois même qu'il reste son instit préféré… comme quoi ! J'avais été très sceptique tout de même. Mais plus timide en tout cas.
Alors, voilà, aujourd'hui, je chante sur scène, bien entourée (mais j'ai aussi joué dans des comédies musicales amateures où je tenais le rôle principal), j'anime des débats en public, je donne des cours à des élèves et j'essaye de les convaincre (oui c'est monter sur scène)… et ce, sans plus aucune once d'appréhension (aucun trac, ça viendra peut-être avec le talent !!). Une certaine jouissance même. J'adooooooooore être sur scène. Et vous savez quoi ? Je vais jouer dans un film ! Et le premier rôle en plus ! Je vais même aider le réalisateur à écrire le scénario. Il n'est JAMAIS trop tard pour réaliser ses rêves ! "Gardez vos rêves toujours allumés" chantaient mes fantômes. Ils sont toujours et plus que jamais d'actualité. Plus de temps à perdre ! Cocher toutes les cases de ma to-do liste longue comme le bras de tous les rêves que je veux réaliser : vivre une grande passion, aller voir les aurores boréales, écrire un roman, resigner mes livres dans des festivals, partir sur un coup de tête en voyage, faire des podcasts, apprendre la guitare, vivre plein de moments joyful comme les après marchés… et, et…
Je dis ce que je veux. Je dis ce que je pense. Il faut dire qu'enfin je ne suis plus jugée dans la minute. J'ai d'ailleurs réalisé qu'en fait, je ne suis pas du tout quelqu'un de stressé. Mais pas du tout en fait. Je l'étais parce que je vivais sous le jugement de l'autre. La peur de décevoir sur le choix des hôtels, des restaus, les organisations de vacances, des week-ends… Là, je vais avoir mon appart, il y a des zéros à n'en plus finir à la fin des chiffres (pardon des nombres !!), d'habitude ça m'angoisse… et là, rien. Mais rien du tout. Pas la moindre once d'inquiétude. Je suis hyper hyper sereine. Peut-être que c'est parce que c'est mon propre choix. Je déroule les artisans, négocie les prix (heu monsieur, vous êtes auto entrepreneur, donc la TVA, pourquoi ? On va rester sur le prix initial, hein ? Et bien oui !), exige leur présence, fédère une meute d'étudiants gentils et motivés tout de suite pour m'aider à déménager (et peut-être même quelques rugbymen… ah la classe ! Vous imaginez les premières lignes débarquer et porter mes cartons d'une seule main au quatrième, ça aurait de la gueule franchement)… Bon j'avais demandé l'équipe de France l'année dernière, ils ne m'ont pas entendue. Je vais demander aux gentils rugbymen du REC s'ils sont dispos. Eux, on peut compter sur eux je suis sûre. Bon, en fait, je leur ai déjà demandé au marché ce matin. À suivre… promis, je prends des photos !
Vous croyez que c'est la cinquantaine cette sérénité ? Cette impression d'être un rouleau compresseur empli de joies, de force, du soutien d'amis chers et sincères, nouveaux et fidèles… ou les épreuves m'ont apporté tout cela ? Peut-être un peu des deux… Mais surtout je me connais mieux. Je sais ce que je veux et ne veux pas. J'arrive à imposer mes choix, j'arrive à dire mes envies, à demander "appelle-moi, j'ai envie d'entendre ta voix" "j'ai besoin que tu me prennes dans les bras" et même à demander de l'aide (y compris à mes voisins quand je me retrouve à la porte claquée ou que mon super plat de lasagnes ne rentre pas dans mon four… je n'en récolte que des sourires et de la joie ! On veut même me kidnapper pour ne pas que je déménage !!)… tout ça c'est vraiment nouveau ! Et j'arrive même à être un peu égoïste, dans le sens où j'essaye -j'essaye, hein ?- de penser à moi en premier. Après avoir donné du temps à tout le monde, j'ai un peu le droit de m'en accorder, non ? Parce que si je vais bien, et bien je vais pouvoir rayonner et soutenir les personnes que j'aime. Bon, il y a aussi peut-être, mais assurément en fait, un vent venu du Grand Nord qui explique toute cette force…
Et donc, j'aime les moments solennels. Ceux où l'on se pose pour arrêter le temps. Ceux où l'on pose des jolis mots pour exprimer ce que l'on ressent. Ceux qui marquent. Je vais en vivre un dans quelques jours. Et je vais écrire quelques lignes pour l'intensifier… Autour de moi, des personnes continuent de s'engager. Un homme que j'aime profondément va se marier l'année prochaine. Je suis tellement mais tellement heureuse pour lui ! Et chouette une fête tiens ! Sa soeur se marie à l'automne. C'est la partie de ma famille que je préfère. Celle où je me réfugie, celle où je célèbre. Où l'on sait écouter, fêter, bien manger, se réjouir pour l'autre, soutenir, aimer, partager et réconforter. Je vais lui préparer un joli discours pour lui dire combien je l'aime et combien il compte tiens. Et je le lirai sans trembler, mais émue, devant des sourires et des yeux qui savent.
Très joli article...